Chronique radiocarbone des âges de la Pierre au Gabon
 
Martial MATOUMBA
IRSH/CENAREST
Libreville/Gabon

Résumé

Les Ages de la Pierre sont habituellement subdivisés en un Old Stone Age (pré-100 000 B.P.), un Middle Stone Age (100 000 - 12 000 B.P.) et un Late Stone Age (post-12 000 B.P.) au Gabon. À travers un corpus de plusieurs datations radiocarbones obtenues sur une dizaine de sites fouillés et dans lesquels des témoins culturels ont été retrouvés, cet article interroge la validité de la périodisation en cours sur cette aire géographique. Les datations radiocarbones, soumises à un examen critique à travers les contextes de prélèvement et la nature des échantillons datés, sont manipulées à l’aide du logiciel OxCal. Des industries retrouvées en stratigraphie et encadrées par des datations radiocarbones permettent de reculer davantage dans le temps le Late Stone Age. En considérant comme Bernard Clist que la mise en place de la stone-line, ailleurs au Gabon, date de la même époque qu’à Okala 1(Clist 1995a), au Maluékien, il apparaît nécessaire de reconsidérer les limites chronologiques articulant les âges de la Pierre retenues jusqu’ici au Gabon.

Mots-clés : Gabon — Old Stone Age — Middle Stone Age — Late Stone Age – périodisation -datations radiocarbones - Datations calibrées.

Abstract

The Stone Ages are usually divided into an Old Stone Age (before 100,000 B.P.), a Middle Stone Age (100,000 – 12,000 B.P.) and Late Stone Age (post 12,000 B.P.) in Gabon. Through a corpus of several radiocarbon dates obtained on sites searched and in which cultural witnesses were found, this article questions the validity of periodization during this geographical area. The radiocarbon dates, subject to scrutiny through the contexts of sampling and the nature of the dated samples are manipulated using the software OxCal. Industries found in stratigraphy and supported by radiocarbon dating to fall further in time the Late Stone Age. Considering as Bernard Clist that the establishment of the stone-line elsewhere in Gabon, date from the same period as Okala 1 (Clist 1995a), the Maluekian, it is necessary to reconsider the limits of time articulating ages Stone learned to date in Gabon.

Keywords: Gabon — Old Stone Age — Middle Stone Age — Late Stone Age – periodization - radiocarbon dating — dating calibrated.

Introduction

En Afrique centrale, les Ages de la Pierre sont subdivisés et circonscrits chronologiquement en un Old Stone Age ou Age de la Pierre ancien (pré-100 000 B.P.), un Middle Stone Age ou Age de la Pierre moyen (100 000 12 000 B.P.) et un Late Stone Age ou Age de la Pierre récent (post-12 000 B.P.). Le Middle Stone Age comprend les faciès Sangoen et Lupembien. Le Tshitolien est contenu dans le Late Stone Age. Cette chronologie est habituellement et systématiquement reprise pour la préhistoire du Gabon bien que des recherches archéologiques y aient été menées au cours des 40 dernières années. Certaines d’entre elles ont permis de mettre en évidence des échantillons de matériaux datables. Majoritairement constitués de charbons de bois, ces matériaux ont été découverts dans des niveaux stratigraphiques intercalés entre des niveaux d’industries lithiques ou parfois directement associés à celles-ci. Des datations radiocarbones provenant de sites archéologiques in situ sont bien présentes au Gabon. La lecture de ces données, bien que lacunaires, permet d’envisager une autre périodisation pour les Âges de la pierre du Gabon. À travers un corpus de plusieurs datations radiocarbones obtenues sur une dizaine de sites fouillés et dans lesquels des témoins culturels ont été retrouvés, il s’agit alors de s’interroger sur la validité des découpages toujours retenus sur l’aire géographique du Gabon.

1. Méthodologie

Les datations radiocarbones sont soumises à un examen critique à travers les contextes de prélèvement et la nature des échantillons datés qui varient d’un site à un autre. Le résultat de chaque datation analysée aboutit à l’élimination raisonnée des discordances majeures. Le tri est effectué en fonction de critères d’exclusion constitués par la mauvaise fiabilité physique de la mesure et l’incohérence avec le mobilier associé (Manen, Sabatier 2003). Les incohérences entre les dates elles-mêmes et le mauvais étagement dans les stratigraphies entraînent leur disqualification en totalité. Les mesures les plus récentes sont privilégiées pour un site qui fait l’objet de plusieurs trains de datations. Les datations radiocarbones sont calibrées à l’aide

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du logiciel OxCal (version 4.1 disponible en téléchargement sur http://c14.arch.ox.ac.uk/embed.php?File=oxcal.html). Nous utilisons la courbe atmosphérique SHCal04 recommandée pour les datations de l’Hémisphère sud, défini comme le sud de l’équateur thermique ou zone de convergence intertropicale (McCormac et al 2004). Dans le cas où plusieurs datations sont obtenues pour un même événement (notamment sur un même charbon de bois), celles-ci sont combinées (les erreurs associées également) pour avoir un âge moyen et une erreur résultante (Ferdière 1998). Cette manipulation et les histogrammes cumulatifs qui permettent de visualiser les ensembles de datations sont également réalisés avec Oxcal 4.1 (la fonction « combine »). Pour un site disposant de plusieurs dates calibrées, la durée d’occupation du site est proposée à travers la somme des distributions calibrée (fonction « sum »). Cette opération permet d’obtenir une distribution statistique qui fait perdre l’information de date sur les échantillons individuels. Le regroupement des résultats constitue de fait une perte d’information sur le détail. La date vraie d’un échantillon quelconque parmi ceux étudiés se trouve alors sous la courbe « sum » d’Oxcal. Cette opération donne une idée de la distribution d’ensemble des dates, et une indication sur la période où le maximum d’événements a pu avoir lieu (Ferdière 1998).

2. Datations radiocarbones

Quatorze sites archéologiques, fouillés ou sondés, ont permis d’obtenir une vingtaine de datations absolues attachées aux âges de la pierre : Okala 1 (Gif-9378, Beta-46142, Gif-8614), Angondjé (Beta- 74284), Lac noir de Ndendé (Beta-29777, Beta-29774, Beta-20060, Beta-29772, Beta-22081, Beta-22082, Beta-29773), Lopé 2 (Beta- 16742), Sablières de Libreville (Gif-6175, Gif-6907, Beta-14828, Beta-14831, Gif-5987, Beta-14829), Iguela 1 (Beta-74285), Iguela 2 (Beta-74286), Nzogobeyok (Beta-25547), Grotte Pahouin, Ikengué 1 (Beta-18734, Beta-18731, Beta-18728), Owendo (Gif-4157) et Mandilou 2 (Beta-20068). Seules les datations radiocarbones

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provenant de la Grotte Pahouin (5570 ±70 et 4000 ±70 B.P.) ont été écartées du fait que le laboratoire de datation est inconnu. Okala 1 Ce site, localisé dans la province de l’Estuaire (00°29'26 N, 09°24'45 E), a été remué sur une large surface et une profondeur importante. Ce site a été fouillé par Bernard Clist (1) sur plus de 150 m² et au-delà de 3 m de profondeur. Il a révélé une stratigraphie habituellement rencontrée au Gabon. La roche-mère (ici, le calcaire dit de Sibang) est surmontée par un niveau d’altération (une latérite compacte) et par un niveau de recouvrement argilosableux (Clist 1993 ; 1995). Quatre niveaux archéologiques y ont été identifiés et rattachés à l’Âge moyen de la Pierre, à l’Age récent de la Pierre, au Néolithique et à l’Âge du fer. La fouille horizontale a permis de mettre au jour, à -150 cm, dans l’épaisse couche du recouvrement des charbons de bois de Brachysteria cynometroides et de Microberlinia brazzavillensis et d’autres espèces à partir desquelles deux dates carbone 14C ont été obtenues : 39 690 ± 670 B.P. (Beta-46142) et ≥ 40 000 B.P. (Gif-9378) (2) . Les arbres identifiés, des Brachysteria cynometroides et de Microberlinia brazzavillensi, suggèrent que les populations de cette époque ont connu un environnement de forêt primaire dans un climat plus humide que l’actuel (Clist 2006). D’autres charbons, découverts à – 40 cm de profondeur dans le niveau argilosableux en association avec des artefacts lithiques, ont été datés de 5 580 ±60 B.P. (Gif 8614).

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(1). Il était alors chercheur au Centre International des Civilisations Bantu (CICIBA).

(2). La première datation (Beta-46142 39 690 ± 670 B.P.) est précise. L’imprécision de la seconde dation (Gif-9378 > 40 000 B.P.), liée peut-être aux méthodes utilisées et/ou à de possibles contaminations de l’échantillon, ne permet pas de la combiner à la première dans OxCal.

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Angondjé

Découvert en 1993 au nord de Libreville dans la province de l’Estuaire, le site d’Angondjé (0°30’20 N, 9°25’00 E) a révélé trois niveaux d’objets lithiques. Un premier, situé à une profondeur de 40/50 cm et non daté, a été rattaché à l’Âge de la pierre par les auteurs sans davantage de précision. Plus bas, à – 90 cm de la surface du sol, un deuxième niveau d’artefacts lithiques mêlés aux charbons de bois d’assez grands modules ont été découverts. Grâce à ces charbons de bois, ce niveau a été daté de 10 030 ± 60 B.P. (Beta- 74284). Plus en profondeur, entre -120 et – 200 cm et au contact du sommet de la latérite, un dernier niveau de pierres taillées a été mis au jour (Clist 2006).

Lac noir de Ndendé

Découvert par l’équipe du Programme National d’Archéologie (3) en 1984, dans la province de la Ngounié, le Lac noir de Ndendé a fait l’objet de plusieurs missions d’étude. La première, menée en janvier 1987, permit la récolte en surface d’une quantité importante d’artefacts lithiques et la réalisation d’un sondage dans le secteur est. Cette partie du site révéla une industrie de pierres taillées associée aux charbons de bois datés de 5420 +/- 120 B.P. (Beta 20060). Cette date a été confirmée par deux autres proches (Beta 22081: 4990 +/- 120 B.P. ; Beta 22082 : 6450 +/- 130 B.P.). Cette fouille a permis d’obtenir la série de datations radiocarbones en 1989 (Beta 29772 : 4590 +/- 70 B.P ; Beta 29773 : 5530 +/- 230 B.P ; Beta 29774 : 7180 +/- 220 B.P ; Beta 29775 : 1790 +/- BO B.P ; Beta 29777 : 7760 +/- 120 B.P). Les échantillons de charbons recueillis sur ce site ont révélé plusieurs espèces végétales. Dans le carré F10 (niveau 1), on a relevé des Acanthaceae sp et Brachystegia sp. Et ailleurs, des Dialium sp, Sacoglottis gabonensis Urb, Strombosiopsis

(3). Ce programme de recherche a été initié par le Laboratoire National de l’Université Omar Bongo en 1980 sous la direction du Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Lazare Digombé.

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zenkeri Engl, Dicotyledone sp, Elaeis guineensis Jacq, Canarium schweinfurthii. « Il s’agit de fruits, d’arbres, de plantes et de lianes typiques de la forêt. Ces indications démontrent clairement que les populations LSA évoluaient dans un environnement marqué par un climat humide, qui correspond au pluvial dit Kibangien (12 000 B.P. à nos jours). Ce qui suppose un environnement sensiblement différent de l’actuel, caractérisé par une savane » (Locko 2000 :10)4 . La découverte d’Elaeis guineensis Jacq et Canarium schweinfurthii, trouvée en contexte paléolithique précis (Locko 2000), constitue un témoignage inédit en total contradiction avec les considérations courantes tendant à lier ces espèces végétales au Néolithique.

Lopé 2

Localisé dans la province de l’Ogooué-Ivindo, le site de la Lopé 2 a été sondé par Bernard Peyrot et Richard Oslisly. Le sondage a révélé un niveau continu d’éclats de débitage, enfouis à une profondeur de 40 cm, étroitement associés à un lit de charbons, daté de 7670 ± 80 B.P. (Beta-16742). Les fouilles ont révélé trois niveaux de charbons. Les deux premiers contenaient de nombreux éclats de taille. Ces niveaux, situés entre 30-40 cm pour le premier, entre 60- 70 cm pour le deuxième, 100-110 cm pour le troisième, ont été respectivement datés de 6 760 ±120 B.P.(Gif 9864), de 9 170 ±100 B.P.(Gif 9865) et de 10 320 ±110 B.P.(Gif 95561) (Oslisly 1998 : 96).

Owendo

De coordonnées géographiques 0°20’Nord et 9°28’Est, ce site a été fouillé en 1977 par Daniel Cahen. Sur la route LibrevilleOwendo, à proximité de l’actuelle gare du Transgabonais, deux niveaux archéologiques distincts ont été repérés dans un talus de sable blanc grossier. C’est dans l’horizon inférieur situé entre 50 et 70 cm

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(4). Locko M. (2000) - Peuplement préhistorique de la province de la Ngounié (SudGabon), Les cahiers d’histoire et archéologie, n°1, p.7-15.

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de profondeur que de gros fragments de charbon de bois associés à des objets lithiques ont été découverts. Cet échantillon de charbon de bois a été daté de 5040 ±130 B.P. (Gif-4157) (Cahen 1978 ; Clist 1995a).

Sablières de Libreville

Ce site a été découvert et fouillé pour la première fois par les membres de la SPPG en 1963, puis quelques années plus tard par l’équipe de Paléogab. Ces derniers ont mis au jour la présence plusieurs niveaux archéologiques. À une centaine de mètres d’un premier emplacement archéologique (5) , un second a révélé la présence de deux niveaux archéologiques. Entre 45 et 80 cm de profondeur, une couche archéologique associant des charbons de bois à la céramique et aux scories a été datée de 2490 ± 50 B.P. (Gif-6678) (Peyrot, Oslisly 1986 ; 1990). C’est en dessous de cette couche, au contact de deux masses sableuses, qu’un autre niveau archéologique constitué de charbons de bois et d’objets lithiques a fourni une datation radiocarbone de 7500 ±90 B.P. qui le relie au Late Stone Age. Contrairement aux affirmations des auteurs, il semblerait que ces deux niveaux archéologiques étaient contenus dans une même couche géologique, des sables de recouvrement caractérisés par « une différenciation pédologique au sein d’un même dépôt comme le suggèrent d’ailleurs les analyses granulométriques publiées par B.Peyrot » (Locko 1990 : 401).

Nzogobeyok

Localisé au nord de Libreville dans la province de l’Estuaire, Nzogobeyok a livré plusieurs vestiges lithiques dont certains étaient associés à des charbons des bois. C’est le cas des carrés F et E17 où des charbons de bois intimement mêlés à des pierres taillées sur silex, inclus dans des sables ocre, ont été découverts. En place, à – 20 cm de

(5). Il était inséré à - 225 cm de la surface du sol dans des sables ocre et daté de 4870 ± 90 B.P. (Gif-5987).

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profondeur, ces charbons ont permis d’obtenir la datation 6190 ± 80 B.P. (Beta-25547) (Clist, Lanfranchi 1988).

Ikengué

Ancienne exploitation de sable, le site d’Ikengué, localisé au nord-est de la lagune du Fernan-Vaz (1°30’S / 9°29’55 E) dans la province de l’Ogooué-Maritime, a fait l’objet de plusieurs sondages qui ont donné lieu une série de datations. Selon Michel Locko qui a mis au jour ce site, Ikengué est « l’un des rares sites du Gabon où l’on peut suivre une occupation humaine depuis une époque très reculée jusqu’aux dernières étapes de la Préhistoire » (Locko 2005 : 28). Quatre datations radiocarbones ont été attachées au LSA : 5160 ± 100 (Beta 18734), 4830 ± 290 B.P. (Beta 18731), 3850 ±90 B.P. (Beta 18728) et 3250 ± 70 B.P. (Beta 17518) (Digombe et al. 1987 ; Locko 1988 ; 2004 ; 2005).

Mandilou II

Ce site est une ancienne carrière de latérite localisée à 2 km au sud de Fougamou, dans la province de la Ngounié. Un niveau archéologique, en place et intercalé dans des sédiments sablo-argileux de recouvrement, y a été découvert. Il contenait des charbons de bois associés à un grattoir de silex. La datation radiocarbone obtenue est 3890 ±140 B.P. (Beta 20068) (Locko 2000) (6). Ce site a été classé par l’un des auteurs de la découverte, Michel Locko en l’occurrence, comme LSA (7) .

Iguela 1 et Iguela 2

Ces deux sites, localisés en bordure de la lagune Iguela ont été

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(6). Locko M. (2000) – Peuplement préhistorique de la province de la Ngounié (SudGabon), les Cahiers d’Histoire et Archéologie, n°1, p.7-15.

(7). Le discours des archéologues relève parfois de la foi car les descriptions typotechnologiques sont absentes dans plusieurs textes. L’expérience du chercheur suffit à lier des trouvailles à une phase culturelle sans recourir à une quelconque démonstration.

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découverts et sondés par Bernard Clist en 1994. D’abondantes pierres taillées et des charbons de bois ont été mis au jour sur les sites d’Iguela 1 et 2. Les charbons ont permis d’obtenir les datations radiocarbones respectives de 6300 ±60 (Beta-74285) et de 3680 ±60 B.P. (Beta-74286).

3. Réalité préhistorique des « industries MSA, LSA » datées au radiocarbone

Hormis quelques exceptions, le matériel lithique provenant de sites datés au radiocarbone du Gabon a été rarement étudié en détail. En général, l’étude du matériel se limite à indiquer qu’il s’agit d’artefacts lithiques composés galets volumineux et/ou d’éclats de silex, de quartz, de quartzite, etc. Les auteurs se contentent le plus souvent de classer le matériel recueilli dans de grandes cases temporelles. Les méthodes utilisées et les analyses typologiques, technologiques et morphologiques transparaissent difficilement dans le rendu des résultats. Peut-être jugent-ils inutile de les présenter (sic !). En fonction de leur expérience (exceptionnellement avec des analyses typotechnologiques rigoureuses), de la position stratigraphique des objets et leurs caractères, des datations radiocarbones, ils établissent globalement que le matériel recueilli sur un site donné est attaché au MSA ou au LSA. Mais que recouvrent alors les expressions d’industries du MSA ou du LSA, régulièrement usitées, en ce qui concerne le Gabon ? Ces termes renvoient-ils à une réalité préhistorique explicite ? Dès l’origine, le MSA et le LSA comme l’OSA avaient déjà une valeur chronologique et technologique. Ces concepts ont été introduits dans les années 1920 par John Goodwin et Clarence Van Riet Lowe pour périodiser le Paléolithique en Afrique qui ne cadrait pas avec le modèle défini pour le Paléolithique européen. Cette nomenclature s’appuya sur le matériel archéologique mis au jour en Afrique du Sud (Clark et al. 1974 ; McBrearty et al. 2000). Plus tard, ces termes (ESA, MSA et LSA) sont formellement approuvés par le Congrès Panafricain de Préhistoire de 1955 (Clark, Cole 1957) qui conseilla leur emploi pour la préhistoire des pays au sud du Sahara. Cette périodisation usuelle reste communément admise et acceptée par

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les chercheurs travaillant sur le continent africain. Pour le Gabon, on retient globalement que le ESA inclut l’Oldowayen et Acheuléen, le MSA englobe des industries sur éclats et lames et comprend souvent des nucléus et des pointes préparés ; et le LSA se caractérise par la technologie microlithique. Le sangoen et le lupembien sont retenus comme des faciès du Middle Stone Age alors que le Tshitolien est manifeste au Late Stone Age.

Deux niveaux MSA (sites d’Okala 1 et d’Angondjé) ont été datés indirectement de façon absolue au Gabon jusqu’ici. A Okala, des artefacts taillés sur silex et typologiquement d’Âge Moyen de la Pierre, ont été découverts en dessous d’une nappe de charbons et à 5 cm au-dessus de la latérite (Clist 1995, 2006). Les vestiges lithiques sont pré 39690 ±670 B.P. (39216/36496 calBC ?) car le niveau archéologique qui les contenait s’est mis en place avant la couche charbonneuse au-dessus qui a donné cette datation. La position stratigraphique des artefacts du niveau archéologique le plus profond d’Angondjé était identique à celle des pierres taillées les plus anciennes d’Okala 1 (Clist 1995, 2006). Aussi est-il est admis que les pierres taillées sur silice fortement cacholonnée retrouvées dans ce dernier niveau d’Angondjé sont-elles d’Âge MSA et dateraient d’avant 39690 ±670 B.P. comme à Okala (Clist 1995, 2006).

La caractérisation typotechnologique du matériel MSA d’Okala 1 et d’Angondjé demeure difficilement perceptible. Selon Bernard Clist, les artefacts lithiques MSA des deux sites se distinguent principalement par leur aspect. Les pierres taillées désilicifiées et friables appartiendraient au MSA alors que celles d’apparence fraîche seraient LSA (Clist 1995, 2006). Ce critère de particularisation retenu, l’aspect physique, paraît assez délicat.

Plusieurs niveaux LSA provenant d’une dizaine de sites datés (vingt-deux datations) peuvent être retenus pour envisager la culture matérielle des sites préhistoriques de cette période au Gabon. Ces sites présentent une stratigraphie acceptable (tranchée ou carré, niveau d’enfouissement, niveau pédologique).

À Okala 1, le matériel lithique, témoin de la présence humaine et typologiquement du LSA, a été récolté de la base du recouvrement au sommet. Un niveau de vestiges lithiques, considéré par Bernard Clist

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comme le dernier du LSA sur ce site, situé à – 40 cm dans le recouvrement, a été découvert associé à des charbons de bois datés de 4495/4253 calBC (Clist 1997).

À Angondjé, le niveau LSA découvert à 30/40 cm de profondeur était constitué préférentiellement de produits de débitage en silex et de quelques éclats de quartz (Clist 1995). Quant au matériel lithique associé aux des charbons de bois mis au jour à – 90 cm datés de 10030 ±60 (8141/8021 calBC ?), sa singularisation typotechnologique est rare. Seule la datation radiocarbone liée permet de le classer comme LSA.

Sur le site de la Lopé 2, une première analyse du matériel réalisée par Richard Oslisly et Bernard Peyrot met en évidence une rareté des outils et une prépondérance de débris de taille et d’éclats bruts. La matière première, autochtone, est constituée essentiellement de quartzites laiteux et de jaspes noirs (Oslisly et Peyrot 1988). Cette industrie lithique a été rattachée au Tshitolien du Congo et de la République Démocratique du Congo par ces mêmes auteurs (Oslisly, Peyrot 1988). Une seconde analyse, appuyée par de nouvelles données, a été menée par Richard Oslisly en 1998. Le matériel lithique, prélevé en stratigraphie, confirme l’existence effective d’un Âge de la Pierre récent rattaché au complexe Tshitolien. « L’industrie se distingue par un débitage intense (> 90 %) et un très faible pourcentage d'outils finis entre 1 et 5 %. L'outillage est constitué par des nucleus discoïdes, des core-axes, de petites pièces bifaciales en noyau de mangue, des armatures foliacées, des rabots, des grattoirs, des racloirs, des coches, des denticulés, des éclats et des lames plus ou moins retouchés » (Oslisly 1998 : 96). La matière première reste préférentiellement constituée de roches siliceuses telles que les quartzites laiteux et jaspoïdes (Oslisly 1998). La durée d’occupation de ce site par les populations Late Stone Age débute aux alentours de 10320 ±110 B.P. (8594/8154 calBC ?) et se poursuit jusqu’en 5880/5385 calBC (fig.1).

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Au Lac noir de Ndendé, le matériel lithique se caractérise par une rareté des objets finis, retouchés et une domination du débitage. Un carré fouillé a révélé 245 vestiges lithiques parmi lesquels on ne compte que 3 pièces retouchées (un denticulé alterne, une lamelle retouchée et un éclat utilisé, soit 1,22 % du total) (Digombe et al. 1987 : 30). Ce site se singularise par la présence d’autres données culturelles importantes (témoins d’habitation, d’organisation spatiale, artistiques et de croyance). Une fouille dévoila six trous de poteaux aux diamètres différents. Ces trous matérialisent la présence d’une cabane dont l’armature en bois était constituée de piquets de tailles variées. Cette découverte montre que les populations LSA qui ont occupé le lac noir de Ndendé de 7025/6265 calBC à 3501/2941 calBC (fig.2) construisaient des cabanes (Locko 2000). Les auteurs ont relevé dans le même secteur une organisation des activités des hommes préhistoriques. « En effet, la répartition des vestiges fait apparaître des zones de concentration dense et des secteurs plus pauvres. Ainsi, les carrés W10 et X10 sont plutôt assez pauvres en vestiges. En revanche, une zone assez importante (carrés W7, X7, W8 et X8) associe, côte à côte, des restes de charbons de bois et des silex brûlés. Elle est, du reste, caractérisée par une forte concentration de petits éclats. Il semble s’agir là d’une aire d’activité domestique, sans

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doute un atelier de taille où le silex, préalablement chauffé, était travaillé sur place » (Locko 2000 :10-11). Une fouille conduite sur la rive occidentale du Lac noir a mis à découvert une industrie lithique quelquefois associée à l’ocre rouge. C’est le cas du carré F10 où des artefacts lithiques et des fragments d’ocre rouge ont été mis au jour sur un substratum sablo-argileux jaune. Cet ocre était destiné à de nombreux usages. Parmi ceux, on pense évidemment à la peinture corporelle.

À Owendo, l’équipement lithique se compose d’un important matériel de débitage et de quelques microlithes, dont un trapèze et un segment. Ces objets ont été essentiellement débités dans un grès très calcédonieux et dans le quartz.

Aux sablières de Libreville, le matériel lithique est à tendance microlithique. Le débitage fortement dominant est remarquable par la présence de microlithiques géométriques comme les segments de cercle (Locko 1991). La matière première utilisée reste très largement

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dominée par le silex (96,1 %) reste très largement préféré comme matière première à côté du quartz (2.9 %) et du quartzite (1 %).

À Nzogobeyok, le matériel lithique a été rigoureusement analysé et les résultats obtenus ont été publiés. Le matériel, provenant des carrés (À’10, A’9, A10 et A8), étudié par Raymond Lanfranchi, permet d’établir la répartition typologique suivante : sur un total de 654 pièces lithiques récoltées, on compte 61 nucléus, 526 éclats, 26 lames et lamelles, 15 outils, 14 plaquettes de matières premières et 12 galets dont 6 sont fracturés. Les outils se composent de 10 éclats portant des traces d’utilisation, 3 éclats à retouches grignotées et 2 coches sur éclats. Sur le site de Nzogobeyok, la matière première est très largement dominée par le silex (93.4 %) sous la forme de plaquettes importées. Les nucléus sont le plus souvent à un plan de frappe (55,2 %) sur plaquettes plus ou moins allongées. Les éclats, largement plus nombreux que les lames, sont généralement longitudinaux (61.6 %) que latéraux (38.4 %). L’indice de facettage, davantage présent sur les éclats latéraux que longitudinaux, est faible dans l’ensemble ; toujours inférieur à 10 % (Clist et Lanfranchi 1988).

Sur le site de Ikengué, plusieurs niveaux appartenant au Tshitolien ont été attachés au Late Stone Age (Beta 18734 : 5160 ±100 B.P.. Le matériel lithique se caractérise par la prépondérance du débitage, la prééminence du silex et du chert comme matières premières et la rareté des outils retouchés. On y dénombre des éclats bruts et des nucléus informes (Locko 1991). « Les éclats, sur la base de la technologie, sont de toute évidence typiques du Late Stone Age » (Locko 1990 : 400). Les données récoltées sur ce site permettent de retenir qu’il a été fréquenté par les populations Late Stone Age de 4314/2875 calBC à 1660/1301 calBC (fig.3).

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À Mandilou II, un grattoir qui n’a pas fait l’objet d’une analyse particulière constitue le seul témoin culturel du Late Stone Age sur ce site.

À Iguela 1 et 2, le matériel lithique, selon Bernard Clist, est typologiquement du Late Stone Age. Et ces sites partagent de nombreuses similitudes avec celui du lac noir de Ndendé.

Conclusion

Plusieurs faits remarquables pour l’ensemble du Gabon peuvent être relevés. Premièrement, la stone-line du site d’Okala 1, située en dessous du niveau charbonneux daté 39 690 ±670 B.P. conforte et atteste de manière flagrante la thèse de sa formation avant 40 000 B.P. Comme l’ont suggéré de nombreux pédologues et géomorphologues, la mise en place des matériaux grossiers qui composent la stone-line pourraient remonter à la phase climatique sèche du Maluékien entre 70 000 et 40 000 B.P.(8) . Le scénario retenu laisse penser que les violents orages qui ont entrecoupé cette phase aride ont occasionné des torrents qui ont drainé des matériaux

(8). Pour l’heure, les 100 000 dernières constituent la période la mieux connue sur le plan paléoclimatique. Aussi est-il permis de penser que la stone-line qui date véritablement d’avant 40 000 ans B.P., s’est peut-être mise en place au Maluékien.

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grossiers. Ceux-ci ont été ensuite mobilisés en pavage de surface alors que les particules fines étaient emportées. Le niveau supérieur, en l’occurrence le recouvrement sablo-argileux, s’est constitué au cours des épisodes humides qui se distinguent par la stabilité dans la constitution du relief et une absence d’érosion résultant de la présence d’une couverture végétale durable (ce sont des périodes de biostasie). Deuxièmement, le site d’Okala 1 a fourni jusqu’ici la datation radiocarbone la plus reculée de la chronologie du Gabon. Pour la première fois au Gabon et pour des périodes aussi anciennes, il ne s’agit plus de s’enfermer dans un cercle vicieux tendant à dater des couches géologiques sur la base de la typologie lithique uniquement et inversement. Troisièmement, des industries retrouvées en stratigraphie et encadrées par des datations radiocarbones permettent de retenir que les vestiges lithiques localisés entre la base (Beta-46142 : 39690±670 B.P.) et le sommet (Gif-8614 : 5 580 ± 60 B.P.) du recouvrement sont typologiquement de l’Âge récent de la Pierre. Il en découle que le LSA se rencontre de la base au sommet de la couche de recouvrement et se situe chronologiquement entre 40 000 à 5000 B.P.. Cette considération est en totale contradiction avec ce qui est retenu jusqu’ici pour le Gabon (le Late Stone Age étant chronologiquement post 12 000 B.P.). Quatrièmement, Les autres sites, fouillés ailleurs dans le pays ne contredisent pas les données recueillies à Okala 1. En effet les autres datations portent souvent sur des niveaux LSA situés dans le recouvrement. Il n’y a aucune datation semblable à celle d’Okala, aussi ancienne et qui aurait été obtenue à un niveau aussi bas du recouvrement, quasiment au sommet de la stone-line. La somme des distributions calibrées des datations radiocarbones des sites de la Lopé 2, du Lac noir de Ndendé voire d’Ikengué révèle que le Late Stone Age, du moins la culture matérielle, s’échelonne sur une longue période.

En considérant comme Bernard Clist que la mise en place de la stone-line, ailleurs au Gabon, date de la même époque qu’à Okala 1 (Clist 1995a), au Maluékien, il apparaît nécessaire de reconsidérer les limites chronologiques articulant les âges de la Pierre retenues jusqu’ici pour le Gabon. Les datations radiocarbones et les données culturelles d’une dizaine de sites permettent d’envisager un OSA qui

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serait pré-100 000 B.P. (faute de données calées au Gabon, on peut pour l’instant retenir la limite de l’Afrique centrale), un MSA qui débuterait avant 40 000 B.P. et un LSA qui s’échelonnerait de 40 000 B.P. à 5000 B.P.

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Pour citer cet article : MATOUMBA M. (2012) - « Chronique radiocarbone des âges de la Pierre du Gabon ».Humanitas (La Revue de référence du Groupe de Recherche en Sciences et Sociales), n°11, p.38-57.
   
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