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Le sangoen du Gabon |
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Martial MATOUMBA
IRSH/CENAREST
Libreville/Gabon |
Introduction :
Le Sangoen a été identifié pour la première fois en Ouganda. Cette industrie de surface du gisement éponyme de Sango Bay provient de la rive occidentale du lac Victoria en Tanzanie. Elle a été découverte et décrite par E.J. Wayland en 1920. Ce Sangoen
d’origine était un mélange d’objets constitués de coup-de-poing et de grands éclats (O’Brian, 1937). Henri Breuil, dans les années 40, le retient comme un faciès et lui dénie un caractère industriel. Il ajoute que le sangoen n’est composé que d’énormes pics piriformes souvent bifaces, de rares pièces « aristocratiques », de gros blocs plus ou moins équarris et d’éclats volumineux (Abbé H. Breuil, 1948). Bien qu’imprécis et contesté, le Sangoen sera tout de même retenu comme une industrie lourde et fruste d’aspect, plus ou moins tardive que l’Acheuléen et plus ancienne que le Late Stone Age.
Au Gabon, le Sangoen est abordé pour la première fois dans les années 1960 par les membres de la Société Préhistorique et Protohistorique Gabonaise (SPPG). Il est communément admis que le Gabon a connu, à l’instar des autres pays d’Afrique centrale, cette industrie que l’on qualifie à tort de « forestière ». À la lumière d’artefacts découverts, les chercheurs de la SPPG indiquent l’existence du Sangoen au Gabon. Au cours des décennies suivantes, cette industrie sera régulièrement reprise dans la littérature relative à la préhistoire. Mais, elle est rarement interrogée. Quel contenu donne-t-on au Sangoen du Gabon ? À lire, certains auteurs comme Bernard Clist, le sangoen est désormais bien connu au Gabon (Clist,1995). Mais, que sait-on réellement du Sangoen du Gabon ? Autrement dit, quels sont ses caractères typotechnologiques, taphonomiques et chronologiques ? Lorsque l’on parle de sangoen, convient-il de privilégier le caractère typologique aux dépens du caractère stratigraphique ou de prendre en considération ces deux éléments ? Est-il toujours exact de parler de sangoen au Gabon ?
I. Le Sangoen du Gabon au cours de la décennie 60-70
Les premières connaissances sur le sangoen au Gabon sont dues aux amateurs de la Société Préhistorique Gabonaise. Ils ont signalé des objets lithiques témoignant du Sangoen sur de nombreux sites.
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À Mevang, Bernard Farine et Yvan Pommeret font état de la découverte de pics globuleux sangoen. En quartz blanc, ces pics ont été découverts en place à 8 mètres de profondeur dans un talus sur la route Alembé-Lalara. La prépondérance de pics s’accompagne de la présence de choppers et de gros éclats (Blankoff, 1969). À Junkeville, le matériel sangoen se compose de pics et de racloirs discoïdes qui ont été également ramassés par les membres de la SPPG.
D’autres sites liés au Sangoen ont été mentionnés par les membres de la SPPG. Bernard Farine indique l’existence d’un pic sangoen sur le site de AU/G. Il s’agit d’une pièce bifaciale mesurant 21 X 6,5 X 3 cm. Dans un quartz cristalloïde, ce pic montre une section biconvexe irrégulière et il a été obtenu grâce à de gros enlèvements. Une retouche fine est présente sur l’une de ses extrémités supérieures. L’auteur pense que cet objet composite constitue à la fois un pic et une gouge (Farine, 1967 a). Deux autres pics ont été ramassés dans la même région et classés dans le doute, comme des témoins du Lupembien par Bernard Farine (Farine, 1967 a). Pour lui, ces pics « n’appartiennent vraisemblablement pas au Sangoen réel où l’on trouve des pics beaucoup plus volumineux et moins élaborés, souvent taillés dans un gros galet, dont de notables parties de cortex » (Farine, 1967 a : 24 bis). Bernard Farine entrevoit ainsi une évolution du Sangoen du Gabon. Les objets deviennent moins lourds. Cependant, ils ne constituent pas pour autant des témoins d’un véritable Lupembien.
Sur le site CY/G, des objets sangoen y ont été également relevés. Un pic a été ramassé dans les déblais de la route. En quartzite gris-noir et de forme globuleuse, ce pic mesurait 13,5 x 8,4 x 7,5 cm (Farine, 1967 a : 24 bis).
Le site CT/G, une plage d’érosion d’une petite savane à 19 km d’Alembé sur la route d’Ayem, a livré un pic allongé. En quartzite très cristallisé gris et brun jaunâtre, ce pic était de dimensions 14,8 x 6,5 x 4,6 cm (Farine 1967 a : 24 bis).
Un outil sangoen a été également signalé sur le site BU de Libreville. « Il s’agit ici d’un pic globulaire de faibles dimensions, obtenu
à partir d’un galet de grès dont subsistent des zones corticales relativement restreintes sur chacun des trois côtés. La pointe — partie inférieure — est bien dégagée par des enlèvements longs assez
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creux et centrifuges. Au niveau de la base est réservé un talon oblique destiné à faciliter la préhension à ce niveau. Les arêtes et la
pointe sont très émoussées, ce qui suggère soit une utilisation très intense, soit un roulage dans des eaux vives » (Pommeret 1965: 31). Aux portes de l’Okanda, une centaine de pics sangoen mélangés à des objets lithiques plus récents ont été ramassés en dehors
du contexte initial.
Des vestiges lithiques à affinités sangoennes ont été également découverts sur les sites EV et EW à une quarantaine de kilomètres de Ntoum sur la route menant à Kango. Les membres de la SPPG ont mis en exergue respectivement 8 pics, 2 choppers et 17 éclats pour le premier site cité ; 6 pics, 2 choppers et 10 éclats pour le second. À en croire les auteurs, la distinction de ces objets repose sur une « typologie élémentaire qui demandera à être précisée ultérieurement » (Hadjigeorgiou et Pommeret 1965 : 115). Et, ce matériel provient de contexte précis, encore en place, mais également de surface. « Un pic sangoen a été ramassé sur la terre amoncelée par les bulldozers » (Hadjigeorgiou et Pommeret 1965 : 113 bis).
En 1963, Bernard Farine et Boris Blankoff ont mis au jour sur le site AU de la porte de l’Okanda, localisé entre Ndjolé et Booué, des pièces et des déchets de taille essaimés sur une longueur d’environ 2 km et une largeur de 600 m. Mais ces objets étaient fortement concentrés à mi-pente d’une des nombreuses collines qui caractérisent ce site. Plusieurs pièces lithiques y ont été ramassées de manière sélective par les deux auteurs qui ont estimé leur poids total à 75 kg. Ce matériel était largement constitué de pics de différentes dimensions, de core-axes, de grands racloirs allongés ou ronds, mais également de pointes et de racloirs de petite taille, de pièces à tranchant poli récoltées sur une surface limitée à 200 m de diamètre. Des tessons de céramique et une lame de couteau en fer datant au plus de la période de l’indépendance ont été découverts à proximité de deux plateformes proches, circulaire pour l’une, horizontale pour l’autre, dépourvues de végétation. Ces plateformes, à croire les auteurs, ont probablement constitué des emplacements de huttes. Ceci reste bien sûr à démontrer en raison de l’absence de trous de poteaux signalés. Les auteurs ont retenu ce site comme un vaste atelier de taille en raison d’une présence importante de la matière première, de l’existence de nombreux déchets, ébauches et pièces cassés ; de la rareté de pièces achevées. Comme le soulignaient déjà Bernard fa-
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rine et Boris Blankoff, soutenus par l’opinion de J. Nenquin, le site AU a été perturbé par l’érosion et le matériel recueilli constitue un mélange d’objets de plusieurs cultures allant du Sangoen à la colonisation, voire à l’indépendance. Plusieurs populations s’y sont succédé dans le temps. (Blankoff, 1965 a).
Sur l’axe Ebel-Ndjole, Bernard Farine a mis en exergue deux sites. Au km 12, le site HZ dont le terrain était décapé de façon superficielle, des pièces éparses en silex y ont été récoltées. Il s’agit d’un « chapeau de nucléus », d’un racloir, d’un petit nucléus portant de nombreuses plages de percussions, d’éclats lamellaires, d’une pierre à cupules, d’un pic en grès et d’une pièce allongée. À 29,5 km d’Ebel, le site IB, révélé par le décapage des terres superficielles, a permis de mettre au jour un pic en quartzite, une pointe en quartz blanc en feuille de laurier de dimensions 9,5 x 3 x 1,2 cm ; une pointe biface en quartz blanc, à embryon de pédoncule, de forme allongée et mesurant 8,5 x 2,6 x 1,5 cm ; une base de pointe à pédoncule en quartz blanc de 3,5 cm ; une pointe biface allongée, cassée ; des éclats lamellaires ; un grattoir en éventail sur bout de pièce, en quartz blanc ; une pièce allongée de section quasi triangulaire, en quartz de mauvaise qualité ; une pièce en schiste gréseux portant en bout et sur une seule face une plage de polissage(Farine,1967 b).
Sur l’axe Ndjole-Alembe, quatre sites ont été découverts. Le site ID à 4 km, a révélé à 2,5 m de profondeur un gros outil en quartzite gris de dimensions 14,5 x 8,5 x 4,2 cm dans la coupe de terrain laissée par l’ouverture de la route dans une petite colline. À 5,7 km de Ndjolé, le site IE a permis de mettre en exergue un Outil uniface allongé en quartzite mesurant 10,3 x 4,8 x 1,3 cm. La partie non retouchée est constituée par le cortex pratiquement plat d’un galet. À 10,2 km de Ndjolé, le décapage du terrain du site IF a mis au jour un outil de 15,8 x 8 x 3,4 cm, partiellement travaillé dans un galet allongé de schiste gréseux très dur. La retouche n’intéresse qu’une face sur un des bords latéraux et sur le bout le plus large. Le site IH à 22 km a livré plusieurs éclats dispersés dans la coupe de terrain. Une pièce biface ovale et peu épaisse en quartzite, un gros éclat de type clactonien (gros bulbe et plan de frappe formant un angle de 145° avec la face inférieure) en quartzite, quelques grosses retouches ; un gros éclat plat et deux pièces en roche tendre très altérée et qui étaient peut-être polies, trouvées en surface dans le
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décapage superficiel où l’on remarque aussi de nombreux éclats de quartz blanc (Farine, 1967 b).
Sur l’axe Alembe-Ayem, il n’y a qu’un seul site qui ressort. À 39 d’Alembe, dans une savane en bordure de l’Ogooué, le site IJ a livré dans une plage d’érosion une hache taillée en schiste noir, en forme d’amande, à retouche marginale en escalier et écailleuse et de dimensions 16,7 x 9,9 x 2,2 cm ; une grosse pièce biface allongée section biconvexe régulière, en quartz blanc, cassée à une extrémité et mesurant 15,3 x 6,2 x 4 cm (Farine, 1967 b).
Sur l’axe Ayem (bac) – Mikougo, un seul site a été retenu. Il s’agit du site IK localisé à 33 km d’Ayem (bac). En stratigraphie, ce site a révélé à 80 cm de profondeur une pointe en quartz blanc à base ovale et à extrémité cassée de dimensions 6 x 2,7 x 1,2 cm ; un grattoir bilatéral sur éclat de quartz au grain fin et une pièce biface allongée en quartz blanc (Farine, 1967 b).
Enfin, sur le tronçon routier Ndjolé-Lalara, deux sites ont été découverts. Le site IL, au km 100, est une grande carrière dans laquelle des pics simples et des « pics-plane » ont été retrouvés. Au site IM, des éclats en quartz blanc et un pic ont été mis au jour dans un décapage de terrain (Farine 1967 b).
II. Fondement méthodologique du Sangoen au cours de la décennie 60-70
Dans la plupart des articles publiés, les membres de la SPPG présentent quelques pièces dites sangoennes sans procéder à de véritables études du matériel. En général, quelques planches sont consacrées à la description de quelques belles pièces provenant parfois de lots intéressants. Il n’est pas rare de relever le propos suivant dans la littérature de la SPPG : "La découverte de pièces d’un type et d’une technique nettement sangoenne a déjà été signalée… Dans les planches suivantes, nous nous sommes bornés à présenter les principaux types de pièces de tradition Sangoenne, […] découvertes à Libreville. Toutes ces pièces ont été découvertes en surface… De ce fait leur position stratigraphique est encore mal connue" (Pommeret 1965 : 29).
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Pour rattacher ces objets récoltés au Sangoen, ils ont adopté principalement la terminologie et la chronologie retenues par John Desmond Clark (Pommeret, 1965 b ; Farine, 1967 a). Il s’agit pour l’essentiel, de connaissances compilées par John Desmond Clark dans le nord-est de l’Angola. A cet effet, Bernard Farine indique : "notre classement a été effectué par comparaisons en nous référant principalement à l’ouvrage en deux tomes de J. Desmond Clark publié par le musée de Dundo en 1963 : “Prehistoric cultures of northeast Angola and their significanca in tropical Africa” et portera sur le Sangoen, le Lupembien et le “Néolithique” tels qu’on les trouve dans les régions considérées et en de nombreux autres points" (Farine 1967a : 22).
John Desmond Clark intègre les industries du nord-est de l’Angola dans le contexte culturel et chronologique du bassin du Congo retenu par Mortelmans en 1957220. Mortelmans et John Desmond Clark utilisent la terminologie suivante pour le bassin du Congo : le Sangoen, le Lupembien inférieur, le Lupembien supérieur, le Lupembo-Tshitolien, le Tshitolien, le Néolithique et ses variantes (Mortelmans, 1957 ; Clark, 1963). Pour ces deux auteurs, le Sangoen est une industrie du Premier Intermédiaire qui se caractérise
par la présence de pics, de choppers-bifaces (handaxe-choppers221), de grattoirs nucléiformes, de polyèdres, de pierres de broyage et d’écrasement (Clark 1963 : 47). Les membres de la SPPG s’appuient donc sur le « Sangoen du Congo occidental »222 dans lequel
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220 « The cultural divisions for the Congo Bassin, which includes northeastern Angola, are those adopted by Mortelmans in 1957 » (Clark, 1963 : 46).
221 « The upper pleistocene industries contain a number of crude ovate and elongated ovate tools which might be classed as roughouts or unfinished handaxes if it were not apparent that they were intended for use without any further reduction or secondary flaking. Edges are irregular, points are rounded or linguate, butts are usually unworked and thick and sections arealso thick. Many of these tools show signs of use as choppers so that they have been classified here as handaxe-choppers » (Clark, 1963 : 52).
222 Il s’agit de la partie occidentale de République Démocratique du Congo. Ce « Sangoen du Congo occidental est parfaitement caractérisé par les belles séries récoltées à Léopoldville par le R. Fr. H. van Moorsel » (Mortelmans 1957 : 142). Le débitage clactonien ou Levallois donne lieu à de très grands éclats. Le débitage laminaire produit de lourdes lames de 16 cm en moyenne. L’usage d’une technique de taille secondaire, souvent abrupte, conduit parfois à l’obtention d’outils présentant une
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s’intègre le Sangoen du nord-est de l’Angola pour déterminer le sangoen du Gabon. En effet, "Le système de référence utilisé pour définir les différents faciès a été emprunté aux industries du Congo Brazzaville et de l’Angola. Bien que les pièces caractéristiques de ces états proches ne coïncident pas toujours avec les fossiles directeurs gabonais, il n’apparaît pas utile d’utiliser une autre terminologie qui ne ferait qu’ajouter à la confusion née d’appellations régionales déjà trop nombreuse"(Pommeret, 1965 : 8).
Ces agents de la SPPG retiennent donc le Sangoen découvert au Gabon comme le faciès industriel le plus ancien de ce pays. Il constituerait le premier stade industriel lithique du Gabon. Les membres de la SPPG distinguent le Sangoen du Gabon par la présence d’objets frustes constitués principalement par le pic et le chopping-tool. En effet, "Le pic est un des outils les plus anciens connus au Gabon. Sous sa forme la plus fruste simple, le galet appointi par quelques coups de percuteur — il constitue avec les chopping-tools, toute la panoplie en usage au sangoen ancien, tel que nous le connaissons au Gabon par les gisements purs de Mevang et Junckville. Par la suite, le pic se modifie en s’allégeant, en devenant l’objet de soins plus attentifs, sans que toutefois disparaisse le galet grossièrement taillé des origines" (Pommeret, 1965b: 31).
Pour les membres de la SPPG, le pic est un outil lourd, adapté au travail du bois. La portion utile est constituée par une arête vive, soit latérale, soit en bout, soit à la fois latérale et en bout.
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denticulation grossière du bord latéral. L’outillage, très varié, se compose de quelques grands coups-de-poing et de rares hachereaux de tradition acheuléenne, de grands pics unifaces ou partiellement bifaces, parfois à double pointe, de grands pics-rabots, de rabots épais unifaces, de pics-planes, de ciseaux et gouges épais, unifaces ou bifaces, de ciseaux foliacés passant à des bifaces elliptiques minces, de ciseaux unifaces à large tranchant droit, quelques grands racloirs, des pics-poignards encore mal différenciés, des poignards taillés à petits coups, atteignant 25 cm de longueur, des feuilles épaisses et des pointes foliacées de grandes dimensions (25 cm en moyenne) (Mortelmans, 1957).
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Une pointe parfois ébauchée peut être utilisée accessoirement. La zone corticale varie suivant l’importance du tranchant obtenu. Les
enlèvements et l’épannelage sont généralement larges et creux. La retouche secondaire souvent inexistante est écailleuse et scalariforme.
Ainsi formé, cet outil permet des opérations de raclage et éventuellement de sciage (Pommeret, 1965b : 33). Les membres de la SPPG inscrivent également le Sangoen du Gabon dans le contexte culturel et chronologique du bassin du Congo. À en croire les membres de la SPPG, les sites caractéristiques du Sangoen du Gabon sont Mevang et Junckville. Malheureusement les informations
concernant ces deux sites restent globalement insuffisantes pour apprécier.
Par ailleurs, les membres de la SPPG ont retenu une hypothèse diffusionniste pour le sangoen au Gabon. Ils considèrent : "l’hypothèse selon laquelle les industries lithiques préhistoriques découvertes au Gabon seraient issues du même fonds technologique
sangoen que l’on retrouve dans toute l’Afrique Équatorial. Les découvertes réalisées durant ces derniers mois, nous confirment dans cette impression première d’une évolution buissonnante à partir d’une “Pebble Culture” – ou sangoen ancien, ou préchelleen — bien individualisée, jusqu’à la généralisation des métaux, en passant sans solution de continuité, par les étapes classiques caractéristiques de ces civilisations forestières "(Pommeret 1965b : 29).
Les notions de liste type, mais surtout celle de fossile directeur fondent la détermination du Sangoen du Gabon. La reconnaissance
du sangoen par les membres de la SPPG reste fortement imprégnée par la notion de fossile directeur. La notion de fossile directeur,
résultant de l’approche typologique des vestiges découverts, renvoie à un objet caractéristique qui permet de définir une culture
préhistorique donnée. La présence d’un fossile directeur dans un site archéologique suffit à le rattacher à une unité culturelle et chronologique. Les variations pouvant apparaître d’un site à un autre sont considérées comme secondaires. Les chercheurs de la SPPG convoquent le pic et/ou le chopping-tool en l’occurrence pour déterminer le sangoen. De nombreux sites sont classés comme sangoen grâce à la présence d’un pic, de plusieurs pics, de pics associés à des chop
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ping-tools. Cette notion de fossile directeur est étendue à d’autres faciès, en l’occurrence le Sangoen-lupembien dans la mesure où il
s’avère difficile pour les membres de la SPPG de distinguer nettement l’un de l’autre dans des contextes de mélanges d’artefacts. À cet effet, Bernard Farine ne clôt-il pas sa communication sur les sites des axes routiers Ebel-Ndjole, Ndjole-Alembe, Alembe-Lalara, Alembe-Ayem, Ayem-Mikougo en indiquant que « ces nouveaux gisements préhistoriques font apparaître l’importance des pointes, des pièces bifaces allongées et des pics dans toute cette région, confirmant, s’il le fallait encore leur appartenance aux traditions du Sangoen-Lupembien ».
Des méthodes statistiques en cours dans les années 50 et 60 (Liste type, représentations graphiques, calcul des indices, etc.) ont été parfois convoquées par les membres de la SPPG pour étudier le Sangoen du Gabon. C’est le cas en l’occurrence de la liste type dont l’avantage est « de rendre compte de la totalité des outillages et de substituer des comparaisons numériques et graphiques précises à des rapprochements qui laissent trop de part au coefficient personnel. Elles ne suppriment pas l’analyse descriptive à qui revient le soin de rendre compte des formes de passage, des nuances, des originalités typologiques aussi bien que du style de l’outillage. » (de Sonneville-Bordes, Perrot, 1953 : 323). Hadjigeorgiou et Pommeret rappellent que leur étude statistique des gisements de Ntoum s’appuie sur une liste type pour produire sous forme de blocs-diagramme le profil de ce faciès qu’ils considèrent comme « pur, extraction faite de la couche néolithique supérieure » (Hadjigeorgiou et Pommeret 1965 : 115). Cette liste type est composée d’outils sur galets (choppers-chopping tools), de pics, d’éclats clactoniens, d’outils sur nucléus de type lupembien (ciseaux, gouges, etc.), d’éclats utilisés (soit à l’éclat brut, soit retouchés), de percuteurs, de nucléus, de déchets de taille (Hadjigeorgiou et Pommeret, 1965 : 115).
Mais cet usage de la liste type par les membres de la SPPG reste insuffisant. En effet, il est rare de trouver dans la littérature de la SPPG des précisions sur les listes types. Contrairement à de Sonneville-Bordes, les confusions caractérisent les éventuelles listes types. Les types généraux retenus ne sont pas clairement définis. L’ordre d’appel des outils sur la liste-type, essentiellement utilitaire bien sûr, n’est pas suivi d’établissement de graphiques cumulatifs représentatifs et lisibles comportant des montées séparées par des paliers comme le recommande de Sonneville-Bordes. De Sonneville-Bordes définissait la liste type comme un instrument de
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travail qui « doit rester maniable et ne saurait inclure toutes les variétés d’outils reconnues par les auteurs. À quelques exceptions près, nous nous en sommes tenus à des types généraux, nettement individualisés, dont nous publierons prochainement les définitions, pour éviter toute confusion » (de Sonneville-Bordes, Perrot 1953 : 323).
III. Le Sangoen du Gabon de la fin du XXe siècle
L’approche méthodologique sur le sangoen est renouvelée au cours des décennies suivantes. À l’instar des considérations méthodologiques renouvelées ailleurs, désormais, la seule présence d’un fossile directeur ne suffit plus à déterminer un site sangoen. Et, les données paléoclimatiques sont utilisées non seulement pour restituer les milieux naturels correspondant au sangoen mais aussi et surtout pour le dater. On voit alors se multiplier des pourcentages d’objets dans les sites étudiés.
Le site d’Otoumbi dans la vallée moyenne de l’Ogooué, de coordonnées 0°2’20 de latitude sud et 11°6’35» de longitude, est et localisé au sommet d’une colline. Richard Oslisly y signale de nombreux artefacts, de taille fraîche, constitués uniquement d’outils (90 % de pics, de rares pointes bipointes, quelques bifaces amygdaloïdes et ovalaires, des racloirs sur grands éclats et de grands nucléus discoïdes) reposaient sur la cime d’une stone-line. On admet alors, par comparaison stratigraphique avec les autres pays de la région d’Afrique centrale que la formation des stone-lines du Gabon daterait du Maluékien ou du Léopoldvillien. Par conséquent, les témoins sangoen localisés au contact ou dans la stone line du Gabon dateraient de la même période. À Otoumbi, l’ensemble lithique, défini sur le plan typologique par Richard Oslisly comme « complexe industriel Sangoen c.70.000-40.000 B.P [est] concomitant de l’épisode rhéxistasique Maluekien, qui a vu 1’ homme évoluer dans un paysage constitué de vastes étendues caillouteuses dans un contexte climatique plus froid et sec » (Oslisly, 1992 : 93).
Les fouilles stratigraphiques de sites sangoen ne sont pas légion. Il n’en demeure pas moins que quelques-unes ont donné des résultats probants. Dans un article de 1967, publié par Bernard Clist en 1995, Costa Hadjigeorgiou réclamait déjà que « l’industrie sangoenne du Gabon demande une étude beaucoup plus approfondie. Il faudrait pour cela entreprendre des fouilles stratigraphiques sur les sites particulièrement riches, comme ceux de Mevang et Junkville » (Hadjigeorgiou, 1967 (1995) : 288).
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Ce voeu a été en partie exaucé par Bernard Clist qui a fouillé de façon extensive et intensive les sites d’Okala et d’Angondjé. Cette fouille a permis de préciser la stratigraphie des éclats qui ont été retenus par l’auteur de la fouille comme des témoins du Sangoen et surtout d’obtenir une importante datation absolue. Bernard Clist ne fait pas allusion à une quelconque perturbation du site. Les charbons de bois, des Brachystegia cynometroides et Microberliniabrazzavillensis, étaient enfouis à 150 cm de profondeur dans le recouvrement argileux, à 10 cm au-dessus d’une grenaille de latérite. Les éclats de silex, marqués par une forte désilicification, étaient coincés entre cette nappe de charbons et le sommet de la stone-line (Clist, 1995 : 94). Ce site a fourni la datation absolue la plus ancienne, 39 690±670 BP. Cette datation est concordante avec les observations de Raymond Lanfranchi et Dominique Schwartz en République Démocratique du Congo. Comme dans ce pays, la formation de la stone-line, antérieure à 40 000 BP, se serait développée durant la phase aride du Maluékien (Lanfranchi et al. 1990 : 248).
Le site Angondjé, situé à 12 km au nord de Libreville, a révélé un niveau Middle Stone Age enfoui à quelques centimètres d’un
gravier latéritique, entre 2,5 m et 2,30 m. Le matériel, de débitage uniquement, était constitué d’objets lithiques très silicifiés similaires à d’autres récoltés en surface. La couche de charbon de bois enfouie a 0,80 m, datée de 10 030±60 B.P., permet d’indiquer que cet outillage est chronologiquement situé avant 10 000 B.P. « La bonne correspondance entre les dates d’Okala, d’Angondjé et celle de Remboué permet de placer avant 40 000 ans la fin de la mise en place de la ligne de cailloux de Kango toute proche. […]. Par extension, toutes les lignes de cailloux du Gabon se sont formées au plus tard à cette époque. Il est toujours possible que certaines soient plus vieilles encore, pré-Maluékiennes » (Clist, 1995 : 94). Grâce à ces rares datations absolues associées aux données paléoclimatiques d’Okala, d’Angondjé et de Remboué, Bernard Clist confirme que le sangoen du Gabon est pré 40 000 BP. Et, cette réalité est aujourd’hui admise par tous les préhistoriens travaillant au Gabon.
Mais, le matériel lithique provenant de sites d’Okala et d’Angondjé a fait l’objet de rares analyses typo-technologiques publiées. Dans ces conditions, il paraît difficile de confirmer le rattachement de ce matériel au Sangoen. Ce scepticisme est conforté par la définition, reconnaissons-le pour des raisons de commodité, du Sangoen par Bernard Clist. Le sangoen est défini par cet auteur comme
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toutes les industries découvertes au contact et dans les stone-lines du Gabon. La seule position stratigraphique du matériel ne peut pas suffire à déterminer le sangoen. Des caractères typotechnologiques, voire technoéconomiques doivent lui être adjoints. Cette définition a induit de fait un classement contestable de nombreux sites de l’Estuaire, de l’Ogooué-Lolo, du Moyen-Ogooué, de l’Ogooué-Ivindo et de la Ngounié comme Sangoen. La position stratigraphique et la composition matérielle de certains sites permettent de les envisager comme sangoen. Sur une douzaine de gisements de Kango et quatre autres à Kafélé, l’outillage a été le plus souvent découvert au sommet d’une stone-line épaisse de 1 à 2 m. Un pic et des éclats ont été également retrouvés au contact de la stone-line au site dit Remboué. À Milounda (près de Lastourville), des outils (boules polyédriques, gros rabots, pics bidirectionnels, etc.) ont été découverts dans un ancien niveau alluvial (Peyrot et Oslisly 1984 ; Clist, 1995). Au pont de Ngollo, de lourds galets en quartz et plus rarement en quartzite ont été collectés en affleurement stratigraphique. À Elarmekora, une série limitée d’outils sur galets y a été révélée et datée du Pléistocène inférieur (avant-700 000 BP) en s’appuyant sur des observations géomorphologiques (Peyrot et Oslisly 1984). Dans l’Ogooué-Ivindo, les sites de Kazamabika, de Lopé 6, du pont d’Ayem, d’Adoué et de Ntsenkélé sont également retenus comme sangoen. À Kazamabika, une série d’outils sans éclats, taillée grossièrement dans le quartzite, a été collectée dans une nappe de cailloux relativement dispersés dans le recouvrement.
À la Lopé 6, les objets lithiques proviennent de la partie supérieure d’un cailloutis. Des outils et des déchets de taille ont été retrouvés au sein d’une ligne de cailloux au pont d’Ayem. À Adoué, ce sont une « pièce hachoir bifaciale » à larges plages de cortex et un « pic polyédrique » ont été découverts au contact d’une grenaille latéritique de recouvrements sur pente. À Ntsenkélé, un pic et une ébauche d’armature ont été retrouvés en place au contact de la ligne de cailloux. Dans le Haut-Ogooué, le site de Mikouloungou II a livré un galet aménagé, un pic triédrique, deux pics simples, un pic bifacial, deux broyeurs, un racloir convexe, un biface, un prisme de quartz et quelques pièces uniformes, mais taillées. Ces pièces ont été découvertes à 150 cm de profondeur au-dessus d’une ligne de cailloux. Dans la Ngounié, d’autres sites sont définis comme sangoen par Bernard Clist. À Ndendé, des déchets de taille et des nucléus en jaspe noir, en silex et en quartz, ont été relevés dans une
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ligne de cailloux constitués de blocs de latérite. Michel Locko, auteur de la découverte du Lac Noir de Ndendé indique effectivement « la présence d’une industrie lithique emballée dans une stone-line de gravillons ferrugineux et de blocs de cuirasse lasérisée » (Locko, 1990 : 398). Mais, jusqu’à ce jour, aucune analyse typotechnologique de ce matériel n’a été réalisée et surtout publiée qui permettrait à un autre auteur de dire qu’il s’agit d’un sangoen. Les informations publiées étant insuffisantes, il paraît prudent de considérer comme Michel Locko lui-même que la position pédologique de ces pièces découvertes sur la rive orientale du Lac noir appartiennent au Middle Stone Age de l’Afrique Centrale (Locko, 1990), sans en préciser le faciès. A Moukoro I, des
éclats de taille et des nucléus étaient interstratifiés dans une ligne de cailloux. À Malongo Mabey, un pic en amphibolite a été mis au jour au-dessus d’une ligne de cailloux.
Les hommes préhistoriques de ce faciès occupent les sommets de collines, à proximité des cours d’eau. De nombreux sites archéologiques ont été découverts dans ces contextes physiques. Cette réalité archéologique qui procède davantage du Préhistorien doit être relativisée. Dans sa recherche, le préhistorien privilégie les endroits d’accès facile, souvent susceptibles d’avoir hébergé les hommes préhistoriques. De ce fait, la géographie territoriale des hommes du Sangoen au Gabon n’est qu’une vue partielle de la réalité préhistorique d’occupation.
Comme pour le Lac noir, la plupart des sites classés Sangoen n’ont pas souvent fait l’objet d’analyses typotechnologiques permettant de mettre en évidence les traits caractéristiques les liant à ce faciès. Les outils sangoen persistent jusqu’au Néolithique. Des fouilles réalisées par les membres la SPPG sur le site CS de Ndjolé ont montré que « l’outillage lourd sangoen a perduré jusqu’au néolithique » (Pommeret, 1965 : 30). Sur le site BH du Lycée Léon Mba, un chopping-tool, caractéristique du sangoen selon les membres de la SPPG, a été découvert dans un niveau néolithique (Pommeret 1965).
On ne sait pas toujours placer la limite inférieure. Les données polliniques disponibles pour les derniers 140 000 ans montrent qu’il y a eu une longue période relativement chaude (128 000 à 75 000 ans) ayant débuté par une phase nettement chaude dont la durée est d’environ 10 000 ans et datée de 118 000 à 128 000 ans. La succession de ces différentes périodes a été surtout étudiée dans les sédiments marins, dont la chronologie est basée sur les fluctuations
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du rapport isotopique de l’Oxygène O16/O18 obtenu sur les carbonates des foraminifères trouvés dans ces sédiments (Maley, 1996 ; Dupont et al., 1996 ; Dupont et al. 2000). La stone line du Gabon pourrait tout à fait dater de cette période ou bien du Pléistocène inférieur, c’est-à-dire d’avant 700 000 BP comme le suggère Richard Oslisly et Bernard Peyrot en ce qui concerne la stone line d’Elarmekora et de Mingoué dans la province du Moyen-Ogooué (Oslisly et al., 1992). De ce fait, on peut s’interroger à juste titre si les artefacts lithiques comme les choppers et les chopping-tools évoquant une époque plus ancienne, l’Early Stone Age en l’occurrence, ne sont pas systématiquement enfermés dans un hypothétique sangoen.
IV. Discussion : le sangoen est une nomenclature à préciser au Gabon
La nomenclature relative au Sangoen du Gabon reste imprécise (Locko 1990 ; Matoumba 2008). Michel Locko indiquait déjà en 1990 que les « appellations comme Sangoen, Lupembien et Tshitolien reposent uniquement sur la typologie lithique ». Si cela est vrai, on remarque qu’il s’agit dans l’essentiel de cas de vestiges directeurs. Quelques pics et quelques galets aménagés n’autorisent pas à examiner ces objets comme des indicateurs incontestables du sangoen ainsi qu’ils apparaissent dans l’essentiel des sites dits sangoen du Gabon dont on doit la découverte aux membres de la SPPG. Or depuis bien longtemps, il a été démontré qu’il était hasardeux de déterminer et d’attribuer un ensemble archéologique à une période culturelle et chronologique à partir de la présence d’un seul objet. Les pics et les galets aménagés constituent des objets transculturels dans les couches archéologiques du Gabon. Le matériel « sangoen » étant rarement étudié de manière rigoureuse, il est difficile de lui reconnaître une quelconque valeur chronologique. Aussi convient-il de s’éloigner de cette tendance consistant à rechercher en permanence des « objets qui, sans être de véritables fossiles directeurs, ont une extension chronologique limitée » (Rigaud, 1970 : 471). Les objets sont rarement caractérisés sur le plan typologique et technologique. Les membres de la SPPG favorisent la distinction typologique des objets lithiques récoltés, quel que soit le niveau considéré pour envisager une évolution. L’identification typologique des objets dans un niveau archéologique nous paraît intéressante. Celle-ci prendrait davantage de sens si elle était comprise dans une véritable analyse typotechno
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logique qui précise les caractères quantitatifs et qualitatifs du matériel. Les types d’objets relevés, exprimées sous forme de fréquences par exemple, pourraient ensuite permettre de caractériser un niveau donné, de le rattacher à une période, éventuellement le mettre en parallèle avec d’autres niveaux. Mais, bien sûr, la seule caractérisation typotechnologique reste insuffisante. Elle doit être corrélée aux données taphonomiques. Aussi, nous paraît-il dommageable pour la recherche sur le sangoen de considérer que celui-ci, sous prétexte qu’il soit mal défini au Gabon, doit être défini comme une industrie ou un faciès de stone-line, localisé en son sein ou au contact de celleci. La conséquence d’une telle considération aboutit à retenir, à classer, tous les sites archéologiques découverts au contact ou dans la stone line comme sangoen. Ce raccourci est rapidement remis en cause par de nombreux sites du Gabon. Le site du lac noir de Ndendé est considéré par Clist comme sangoen en s’appuyant sur la position stratigraphique du matériel. Cette attitude est contredite par la typologie du matériel qui a été récolté. Le sangoen du Gabon ne se localise pas systématiquement dans ou au contact de la stoneline. Sur le site BH, les membres de la SPPG ont « constaté que les pièces de tradition sangoenne se trouvaient mélangées à une terre ocre-jaune ou jaune clair qui caractérise les niveaux inférieurs atteints lors du sondage » (Pommeret, 1965 : 30).
Il conviendrait, à notre avis, que des mises en parallèle soient faites entre de futurs matériels supposés sangoens découverts au Gabon et ceux de Kalambo Falls et Simbi. Le Sangoen est marqué par une imprécision stratigraphique et typologique originelle. L’ensemble des collines au-dessus du site éponyme de Sango Bay n’est pas accepté comme critère pour mettre en exergue cette industrie. Le matériel provient d’une surface en immédiate association avec la source de matière première qui présente une longue accumulation couvrant plus d’un stade industriel. Vulgarisé dans un premier temps par O’Brien223 et Van Riet Lowe224, le Sangoen fut recommandé d’usage dans un second temps par le congrès panafricain de préhistoire de Nairobi de 1947. Malgré son usage courant, cette industrie repose
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223 O’Brien a dirigé une équipe de recherche en Ouganda dans les années 30 et a publié en 1939 un livre intitulé « The Prehistory of Uganda Protectorate » (Cambridge : Cambridge University Press).
224 Au cours de la seconde moitié de 1939, Van Riet Lowe rejoint Wayland. Ensemble, ils prospectent l’Ouganda et fouillent quelques sites archéologiques jugés « clés ».
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alors sur des critères typologiques discutés, car elle a été rarement isolée de façon correcte sur le plan stratigraphique. Cette confusion n’a pas pour l’instant gagné en clarté en ce qui concerne les découvertes faites jusqu’ici au Gabon. Mais, deux caractérisations typotechnologiques intéressantes du Sangoen sont reconnues aujourd’hui en Afrique. Elles peuvent servir de base de comparaison au sangoen du Gabon. La première225a été faite par John Desmond Clark sur le site de plein air, in situ, de Kalambo Falls (Clark, 1962 ; 1964 ; 1970 ; 1982). L’intérêt de ce sangoen porte sur le fait qu’il a été mis au jour dans un contexte archéologique précis. En effet, l’analyse de la distribution des mesures des objets faite par Sheppard et Kleindienst (Sheppard et al., 1986 ; McBrearty, 1988) confirmera plus tard la conviction selon laquelle le matériel n’avait pas été sensiblement troublé par l’eau. Le Sangoen y est décrit comme un complexe industriel caractérisé par des éclats largement irréguliers avec des talons plats (quelques rares éclats équilatéraux montrent des nervures parallèles sur leur face supérieure), des nucléus informes à un plan ou deux de frappe ; des nucléus, des éclats, des fragments et des débris utilisés ou retouchés ; des enclumes sous forme de blocs, de grands bifaces, des racloirs (rares), de larges hachereaux, des couteaux, des outils lourds (core-axes convergents, irréguliers ou tronqués ; des pics convergents, des hachereaux-nucléus, des choppers, des ciseaux, des polyèdres), des outils légers (petits racloirs, becs, burins, des formes primitives de disques…) (Clark, 1970). La seconde tentative de caractérisation, non contestée jusqu’ici, est celle
qui a été faite sur le site de Simbi 226. Fouillé sur plus de 2000 m² par Sally McBrearty, ce site paraît être le seul pouvant être considéré comme Sangoen. Le matériel Sangoen, in situ, était situé en dessous d’un sédiment recouvert de tufs volcaniques. Alan Deino a daté le tuf en utilisant la méthode de potassium argon avec la technologie laser. Il a obtenu des évaluations d’âge de 40.000 à 65.000 ans. Les
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225 Les résultats typologiques qui permettent de déterminer le site de Kalambo Falls comme Sangoen sont contestés. L’industrie décrit étonne en raison de la conception traditionnelle du Sangoen comme industrie dominée par les objets lourds épais.
Ceci d’autant plus qu’un équipement moins robuste, composés de petits racloirs et d’éclats retouchés et utilisés, est plus fréquent (74.8%) que l’outillage fruste (19 %), même si celui-ci est tout de même significatif (McBrearty, 1981, 1988; Sheppard et al., 1986).
226 Simbi est situé en Afrique orientale, sur la frontière occidentale du Kenya. Il est proche du lac Victoria, et du site de Muguruk (50km du sud-est).
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tufs étant au-dessus des principaux niveaux (environ 2,5 mètres audessus) d’objets façonnés, l’âge réel du dépôt est évidemment plus ancien. Certains des outils Sangoen de ce site ont été estimés à environ 200 000 ans. Les outils sont composés de bifaces très encombrants à base réservée, aucun pic lancéolé de type Lupembienn’ est signalé. Les outils comprenaient également des os d’animaux (des bovidés moyens, un olduwayensis éteint d’Equus ou le grevyi moderne d’Equus, deux types de zèbres, des arêtes de poissons et des défenses d’éléphant). L’âge du Sangoen à Simbi conjugué aux os d’animaux de plaines suggère un environnement de savane (McBrearty, 1988).
Conclusion
Au regard de ce qui précède, il est difficile de définir le Sangoen du Gabon. Les données portant sur cette industrie restent largement insuffisantes pour traduire précisément ce que l’on entend par sangoen au Gabon. Il est incontestable que des indices de ce faciès existent au Gabon. Mais, pour l’heure, il paraît judicieux de parler d’industries du Middle Stone Age en ce qui concerne les témoins découverts au contact ou dans la stone-line en l’absence de véritables études typotechnologiques les liant clairement au faciès sangoen. Pour admettre définitivement, sans contestation, l’existence du Sangoen au Gabon, il est primordial que les témoins de ce faciès soient précisés sur le plan stratigraphique et chronologique. Ainsi, pourra-t-on définir correctement ce faciès sur le plan typotechnologique, voire technoéconomique. Sur ces bases, il est possible de reconnaître une valeur chronologique au Sangoen du Gabon.
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Pour citer cet article : MATOUMBA M. (2013) - « Le Sangoen du Gabon ». In Gabon pluriel (Eds : MIKALA G.N., MOUSSOUNDA IBOUANGA F.), Libreville, Editions Odette Maganga, p. 205-224. |
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